dimanche 18 septembre 2011

L'utile vocation des visiteurs de prison

BÉNÉVOLAT
Voici un article paru dans Valeurs Actuelles du 13 juillet 2011 qui jette un éclairage sur les visiteurs de prison et leur importance.

Ils contribuent à faire baisser la pression au sein d’établissements pénitentiaires toujours sous tension. Rencontre.

Chaque jeudi depuis six ans, c’est le même rituel, Jean-Yves prend sa voiture, direction Melun. Arrivé au centre de détention sur l’île Saint-Étienne, il traverse la cour pour rejoindre les parloirs “avocats” et serre quelques mains au passage. Là, il attend dix minutes, parfois plus : pour peu qu’il y ait un “mouvement de promenade” au sein de l’établissement, les surveillants prendront leur temps pour aller chercher le prisonnier en cellule. « Certains détenus arrivent avec une liste de sujets griffonnée sur un papier, qu’ils cochent au fur et à mesure », précise-t-il.
La conversation peut durer plusieurs heures. Jean-Yves est à la retraite. Il est aussi visiteur de prison.

Comme lui, près de 2 000 bénévoles consacrent un peu de leur temps à des détenus au passé souvent chargé. Hasard d’une rencontre, fascination pour le monde carcéral, velléité évangélique de visiter celui qui est enfermé, souhait de briser l’inactivité qui suit le départ à la retraite… Leurs motivations sont diverses. Mais dans la plupart des cas, une question leur est commune : “Et si j’étais à leur place ? ” « Je ne dis pas que ce sont des anges, avance Jean Cael, le responsable du service “prison” du Secours catholique, mais ce sont des gens qui ont un avenir, de toute évidence. » Depuis que la peine de mort a été abolie et que la réclusion à perpétuité n’est plus appliquée, toute personne incarcérée, du chauffard récidiviste à l’assassin en série, sortira un jour ou l’autre de prison. « Mieux vaut pour tous qu’ils la quittent meilleurs qu’ils n’y sont entrés », souligne Jean Cael.


Si les retraités représentent le gros des troupes, car plus disponibles, tout un chacun peut devenir visiteur. Encore faut-il présenter un casier judiciaire impeccable et être âgé de plus de 21 ans et de moins de 70 lors de sa première demande adressée à l’administration pénitentiaire. Le candidat peut également passer par l’Association nationale des visiteurs de prison (http://www.anvp.org/), qui “recrute” les candidats en amont, vérifie leur état d’esprit et la stabilité de leur situation personnelle. L’ANVP leur dispense aussi une formation initiale et continue. Ensuite, il convient d’être patient. « J’ai attendu cinq mois pour obtenir mon premier agrément », se souvient Louis, membre de l’ANVP et écrivain public à la maison d’arrêt d’Osny (Val-d’Oise) pour le Secours catholique. L’administration mène son enquête, vous envoie un questionnaire, vous convoque à un entretien.

Une fois son agrément obtenu, le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) attribue au bénévole un ou plusieurs détenus à visiter selon ses disponibilités. Lors de la première rencontre, le visiteur n’a que le “signalement” de son prisonnier : nom, âge, nationalité. Pour le reste, c’est le détenu qui dira ou non son histoire. « J’en visite un depuis deux ans et demi, témoigne Michel, bénévole de l’ANVP à Fresnes (Val-de-Marne), et je ne sais rien des raisons de sa condamnation. »
Car le prisonnier maîtrise toujours l’initiative. C’est lui qui demande à être visité. Et c’est aussi lui qui peut refuser de se rendre au parloir… Le visiteur s’est alors déplacé pour rien. Ce genre de mésaventure est cependant rare tant l’isolement et la solitude sont lourds en prison. « J’y vais chaque vendredi depuis six ans car je sais qu’ils m’attendent, explique Michel. Pour eux, ces rendez-vous sont d’une importance extrême. » Et le jeune retraité, qui a travaillé auparavant chez Les Petits Frères des pauvres, de citer cet homme qu’il a visité durant deux ans et dont il a appris qu’il ne se rasait qu’une fois par semaine… à l’occasion de sa visite hebdomadaire. Des attentions qui réchauffent le coeur.

Les bénévoles de l’ANVP ont l’habitude de dire qu’ils sont dans l'“être” plus que dans le “faire”. Dans la présence plus que dans l’aide matérielle. Le visiteur de prison – ou, plus exactement, “le visiteur de prisonniers” – a en effet pour rôle, presque unique, découter le détenu. Ce qui est à la fois peu et beaucoup au regard de l’investissement affectif que ces visites impliquent. « Je n’y vais qu’une fois par semaine, reconnaît Arthur, chargé par son consulat de visiter les détenus hollandais. Plus, je sature. »

Au-delà de la capacité d’écoute, se pose la question de la distance à adopter, suffisamment proche pour nouer une relation sincère mais distante pour ne pas se faire “vampiriser” par un détenu mal intentionné. « Il m’est arrivé deux fois de refuser de visiter un détenu, dit Louis. L’un, c’était ma première visite, était schizophrène et violent, je ne pouvais rien faire. L’autre a tenté de se servir de moi pour un trafic de drogue. »

« Je voudrais que ceux qui ont l’honneur de m’avoir comme visiteur s’en sortent », résume Jean-Pierre avec beaucoup d’autodérision. Quoi de plus normal, en effet, que d’espérer la réintégration de “son” détenu ? Pourtant, le visiteur sait bien qu’il n’en est pas responsable, et malgré tout, à chaque récidive, quelle déception…

Toutes ces questions, et bien d’autres, les bénévoles de l’ANVP les partagent entre eux lors de rencontres avec le concours d’un psychologue. Un moment essentiel pour s’interroger sur son rôle, et comment l’assumer. Car la relation qui s’instaure entre le détenu et son visiteur est complexe. D’autant plus que, derrière les barreaux, nulle confiance possible, c’est chacun pour soi. Bien souvent, la famille a coupé les ponts, lasse de supporter les errements du fils, de l’époux ou du père de famille. Ils sont seuls. « Le détenu vit dans un stress permanent, explique Michel. Toute relation, avec l’administration, avec son avocat, avec son soignant, est l’objet d’un calcul, de quelque chose à gagner ou à perdre. Avec le visiteur, au contraire, il n’y a aucun enjeu, c’est la parole libre sans crainte que la conversation soit ébruitée : le café dégueulasse, son codétenu qui l’insupporte, la dernière lettre de ses enfants, la télévision, la politique, des silences, un échange, tout y passe ».

Chaque visite est alors une bouffée d’air qui pénètre en prison et qui, au dire des visiteurs comme des surveillants, assainit une atmosphère saturée et fait baisser la tension. Les visiteurs font œuvre de service public.

 Guillaume Desanges

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