mercredi 29 février 2012

Du principe de précaution appliqué à la prison...

Un de plus. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté a rendu son rapport annuel. Il pointe les limites du concept de dangerosité de plus en plus présent dans la législation française.

Bertrand Langlois/AFP
« La prison vit une révolution inquiétante qui, basée sur la dangerosité supposée des détenus, l’amène à les traiter non plus en fonction de ce qu’ils ont fait, mais de ce qu’ils pourraient faire." La constat est de Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui le 22 février présentait son rapport 2011.

"La personne détenue tend, en effet, dans les politiques publiques, à s’effacer au profit de l’attention portée au risque qu'elle peut éventuellement faire courir à la société" développe le rapport du CGLPL. 

Pour le rapporteur général, c'est la conséquence d'une vision positiviste de la question carcérale. Deux causes expliquent la criminalité. L'une intérieure à la personne qui correspond à sa part de "monstruosité" (aux conséquences du pécher originel diront les chrétiens), dont certaines personnes n'ont pu se défaire. Et qui rejaillit à l'occasion du crime. L'autre cause, extérieure, largement liée au milieu social dans lequel évolue la personne. Dans les deux cas, la personne n'est pas moralement responsable des actes répréhensibles qu'elle commet. Dans le premier cas, elle sera poussée par ses pulsions, dans le second, elle sera conditionnée par la société.

La dangerosité, de qui, quand et où?
Il ne s'agit plus de corriger, avec tout le poids moral que porte la punition, mais de protéger la société. Il ne s'agit plus de savoir ce qui a été fait, mais pourquoi cela a été fait. Il n'y a plus de faute, simplement un acte, neutre, et bientôt, un acte potentiel. C'est un regard froid, technique comme l'aime le positivisme, qui est porté sur le délinquant ou le criminel. Dés lors, la sanction passe à l'arrière plan de la question carcérale.  

Avec pour conséquence que purger la peine à laquelle le détenu a été condamné ne suffit plus. il faut s'assurer de sa non-dangerosité future. 

C'est la logique de la loi du 25 février 2008 qui instaure (dans certains cas) la possibilité d'une rétention de sûreté.
« à titre exceptionnel, les personnes dont il est établi, à l'issue d'un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l'exécution de leur peine, qu'elles présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité, peuvent faire l'objet à l'issue de cette peine d'une rétention de sûreté selon les modalités prévues par le présent chapitre, à la condition qu'elles aient été condamnées à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour les crimes, commis sur une victime mineure, d'assassinat ou de meurtre, de torture ou actes de barbarie, de viol, d'enlèvement ou de séquestration. »
Désespérer de l'homme
Le principe de précaution, qui sous-tend cette philosophie, pousse alors le législateur et l'Etat à conserver "au chaud" les personnes dont ils ne sont pas sûrs. Avec toute la difficulté d'interprétation que cela peut entraîner. Comment être certain qu'un voleur, ne volera plus? Qu'un assassin ne tuera plus? Qu'un violeur, ne violera plus? Mais comment être certain également qu'un citoyen irréprochable aujourd'hui, le sera demain matin, ou dans un mois, un an, dix ans? Et à l'inverse, comment être sûr qu'un malfrat, multi-récidiviste, un jour, aujourd'hui par exemple, ne s'amende pas, définitivement?

Du diagnostic, on passe sans coup férir, au pronostic, constate le rapport. Et si le crime est pronostiqué par l'administration avant même d'avoir été commis, pourquoi investir du temps et de l'argent à réinsérer le détenu.

C'est aussi une vision navrante de la société que l'on promeut, où l'homme ne peut se racheter, où la société parie sur la chute du mécréant, sur sa part d'ombre et non pas sur sa part de lumière. "Une société qui désespère de l'homme" , déplore Jean Caël, responsable du département Prison-Justice au Secours Catholique. L'homme est dangereux, car il est libre, il a cette possibilité de faire le bien ou de faire le mal. L'homme qui n'est pas absolument dangereux, est l'homme enchaîné, ou l'homme mort.


Parier sur sa capacité de rédemption, n'est pas faire preuve de naïveté ou d'angélisme. Lui refuser cette capacité de se relever, c'est l'enfermer dans sa faute, dans son péché. Et c'est pour la société toute entière, faire un pas vers le totalitarisme.

                                                                                                          G.D.

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